CHAPITRE III
Des vues holographiques de systèmes stellaires et de quadrants galactiques tournoyaient dans un puits de lumière bleue. Des images superposées clignotantes montraient les trajectoires hyperspatiales reliant des régions éloignées de l’espace. Une pression du doigt permettait d’afficher les informations existant sur différentes planètes et étoiles. Des points lumineux s’agrandissaient pour révéler des données sur les espèces et les cultures de chaque monde, sa topographie et parfois ses capacités de défense.
— Désolé de vous exposer à la technologie inerte, Votre Eminence, dit le tacticien du commandant Tla, mais nous ne savons pas encore séparer les données de leur coquille de métal. Tant que nos villips n’absorberont pas les informations, nous utiliserons certaines machines ennemies. Toutes ont été nettoyées et purifiées, mais il est impossible d’oublier qu’elles ne sont pas vivantes.
Malgré sa répulsion, Harrar donna son absolution au tacticien.
— Abhorrer une chose revient à la craindre. Une meilleure compréhension de la nature des machines renforcera ma résolution de les détruire. Continuez.
Raff, le tacticien, inclina sa tête tatouée avec révérence, puis leva une main osseuse vers l’hologramme.
— Comme vous le voyez, Votre Eminence, nous avons ici une image de la galaxie assez détaillée pour faciliter notre avancée vers le Noyau.
Il effleura l’écran tactile. Une représentation d’Obroa-skai et des systèmes stellaires environnants apparut dans le cône de lumière.
Le tacticien, voué au dieu de la guerre Yum-Hammka, avait un aspect peu engageant. Squelettique, ses dents irrégulières gênaient parfois son élocution. Mais pour l’instant, seuls comptaient ses talents d’analyse. Souvent en contact avec les coordinateurs et les basals dovin, il connaissait presque tous les aspects de la guerre. Son crâne chauve s’ornait de tatouages suggérant les complexités du cerveau qu’il protégeait.
— Hélas, la majeure partie des informations prises à l’ennemi est de nature historique et d’une valeur contestable. Obroa-skai s’est consacrée à la sauvegarde des documents culturels dans leur langue et leur présentation d’origine.
Le tacticien montra une palette flottante contenant des textes imprimés sur des feuilles de duraplast, des data-cartes et d’autres unités de stockage, le tout maculé de sang et sur le point d’être incinéré par le feu purificateur.
— Voilà pourquoi il nous faut ces appareils de décryptage et de traduction. Mais notre raid contre la bibliothèque de ce monde était justifié. Une fois ces informations assimilées par les villips, elles nous fourniront des renseignements précieux sur la psychologie de ces espèces. Des connaissances cruciales pour maintenir notre emprise sur les territoires conquis…
Un assistant, nu-pieds et vêtu d’une longue tunique, monta les marches en corail yorik grossièrement taillé de la plate-forme de commandement. Il posa des assiettes de nourriture et un pichet de liquide couleur ambre sur la table basse, entre le prêtre et le tacticien. Son menton pointu tatoué de rouge imitait la forme d’une barbe. Le dessous de ses yeux et son crâne étaient aussi couverts de tatouages.
Au pied de la plate-forme, une ombre patientait. Harrar fit préparer un repas pour lui, le tacticien et le troisième personnage. Il savoura sa boisson, guettant les réactions du tacticien.
Des générations de voyage intergalactique avaient influencé l’aménagement des vaisseaux de guerre et des vaisseaux-mondes yuuzhan vong. Jadis, l’intérieur s’ornait de tapisseries et de rideaux somptueux. Maintenant, une austère froideur était de mise. Les colonnes ornementales des espaces de commandement étaient usées et abîmées.
Les cultures bioluminescentes n’étaient plus aussi prospères qu’autrefois. Il leur arrivait de vaciller comme des chandelles.
— Que disent les documents sur les Jedi ?
— Etonnamment peu de choses, Votre Eminence. Les renseignements sur l’ordre Jedi ont été omis… ou expurgés de la bibliothèque.
— Une différence significative. Votre avis ?
— Ces bibliothèques regorgent de données. Pourquoi censurer les études sur les Jedi ?
— Peut-être les Jedi eux-mêmes les interdisent-ils, suggéra Harrar.
— Cela expliquerait l’absence d’iconographie à leur sujet…
— Pourtant, vous pensez que les archives ont été expurgées.
— Même en cas de tabou, il reste toujours des traces dans la littérature ou dans la tradition orale. Une biographie des Jedi les plus remarquables, par exemple.
— Un ordre, avez-vous dit ?
Le tacticien Raff regarda l’être tapi dans l’ombre, puis hocha la tête.
— Il fut d’abord voué aux études philosophiques et théologiques. Les Jedi ont-ils découvert les premiers l’énergie qu’ils appellent la Force, ou seulement les moyens d’y accéder ? En tout cas, ils sont passés du statut d’ordre contemplatif à celui de serviteurs de la loi. Pendant des milliers de générations, ils ont assuré le maintien de la justice dans cette galaxie.
— Cela aurait demandé une armée.
— Précisément, Votre Eminence.
— Mais aucune armée Jedi n’a combattu nos guerriers. (Harrar sourit.) Quelqu’un a expurgé les archives d’Obroa-skai… et l’ordre Jedi par la même occasion !
— C’est aussi mon avis.
— Mais pourquoi ?
— Des tenants du Côté Obscur ? Ceux que les Jedi appellent les Sith ?
— Dans ce cas, nous aurions peut-être des alliés dans cette galaxie.
— S’il reste des Sith, je n’en doute pas.
Des bruits de pas empêchèrent Harrar de répondre. Ils précédèrent l’arrivée d’une jeune femelle à la beauté sévère et à la minceur accentuée par une tunique chatoyante. Ses cheveux noirs d’ébène étaient retenus par un turban. Des insectes iridescents brillaient sur les ourlets de ses robes. Elle avança au pied de la plate-forme de commande, croisa les bras et salua.
— Bienvenue, Elan, dit Harrar.
Elle leva la tête. Son crâne était plus régulier et plus plat que celui du prêtre. Les pommettes hautes, elle avait un menton à fossettes, des yeux d’un bleu arctique et un nez large mais droit.
— Quel est votre bon plaisir, Votre Eminence ?
— Pour le moment, que vous vous joigniez à nous. Vous arrivez à temps pour le sacrifice.
Elan regarda par-dessus son épaule. Une créature de petite taille l’accompagnait. Le torse mince couvert de plumes courtes, elle avait des mains à quatre doigts, de longues oreilles et des antennes saillant d’un crâne allongé garni à l’arrière d’une crête emplumée. Des yeux en amande et une grande bouche surmontaient une moustache duveteuse. Des jambes aux articulations inversées et des pieds larges et plats lui permettaient de progresser par petits bonds agiles.
Harrar nota l’hésitation d’Elan.
— Votre familière est aussi la bienvenue, précisa-t-il.
Elan tendit une main vers sa compagne en s’asseyant.
— Viens, Vergere… Pourquoi m’avez-vous appelée, Votre Eminence ?
— Observons d’abord le sacrifice.
Harrar fit signe à un assistant qui s’inclina et murmura un ordre à deux villips récepteurs habilement dissimulés. Ils fabriquèrent aussitôt un champ optique. Une vue de l’espace local apparut dans les airs, emplissant l’avant du compartiment.
Le soleil d’Obroa-skai brillait au centre du champ créé par les villips. Un transporteur Gallofree, une prise de guerre, se précipitait vers l’astre, ses boucliers rougeoyant à cause de la chaleur. Dans le vaisseau en forme de cosse, deux mille prisonniers nettoyés et purifiés, entassés comme du petit bois, vivaient leurs dernières secondes.
Harrar et son entourage regardèrent la chaleur se répandre de la proue à la poupe, liquéfiant les superstructures. Les antennes paraboliques, les détecteurs et les générateurs de boucliers fondirent comme de la cire. La coque se ratatina et s’effondra.
Le vaisseau engouffré par une langue de feu disparut.
Harrar leva les mains, paumes en avant.
— En hommage à notre créateur, Yum-Yuuzhan, et en témoignage d’humble gratitude, nous lui offrons ces vies indignes. Puissiez-vous toujours nous apporter le soutien nécessaire au défi que nous devons relever pour votre plus grande gloire : amener votre lumière dans ce monde de ténèbres, et en chasser l’ignorance. Nous nous ouvrons à vous…
— Puisse notre offrande vous satisfaire, murmurèrent les autres officiants.
— Nous élevons notre cœur vers vous…
— Afin que vous prospériez.
— Nous nous offrons librement à vous…
— A travers vous, nous vaincrons.
Le villip qui avait assuré la transmission à bord du vaisseau sacrificiel brûla vif. Le champ visuel s’effaça. Les assistants d’Harrar retournèrent à leurs devoirs.
— Je ferai analyser les images pour déchiffrer les présages, dit le tacticien.
— Vous transmettrez les résultats au commandant Tla. Il ne se fie peut-être pas à ce genre de choses, mais quand les présages sont ignorés et que l’échec survient, les sceptiques ont tendance à se convertir…
— A vos ordres !
— Passons maintenant au sujet qui nous concerne tous, dit Harrar.
Les yeux d’Elan brillèrent d’intérêt. Elle serra la main de Vergere.
— Jusque-là, notre campagne a été couronnée de succès, continua le prêtre. Nous conquérons des planètes et leur population se rend. Nous gouvernerons ces espèces, mais je crains que changer leur mentalité ne nous pose de grandes difficultés. Il faudra autre chose que la supériorité des armes pour y parvenir.
« Notre opposant principal est un groupe nommé les Jedi. Une… "police morale". Ses membres sont peu nombreux, mais influents.
Elan serra de nouveau la main de Vergere.
— Quel dieu adorent-ils ?
— Aucun. Ils tirent leurs pouvoirs spirituels d’un réservoir d’énergie omniprésent qu’ils appellent la Force.
— Avez-vous une stratégie pour subvertir ou annuler cette Force ?
— Pour le moment, non. Mais une contre-attaque est possible.
Harrar désigna l’être dissimulé au pied des marches de la plate-forme.
— Elan, voilà un de nos agents de terrain, l’Exécuteur Nom Anor. Il nous a aidés à nous installer dans la Bordure Extérieure. Il a aussi recruté des collaborateurs dans la population locale et mené à bien de nombreux actes de sabotage et de subversion. Il est actuellement relevé de sa mission pour superviser un projet que nous avons planifié ensemble, lui et moi.
Elan examina Nom Anor quand il monta les marches. Mince et de taille moyenne, il était ordinaire, même avec ses marques faciales et les os brisés qui attestaient de sacrifices au-delà de la norme. Il avait perdu un œil, ou l’avait offert aux dieux. L’os orbital avait été remodelé pour recevoir un plaerin bol, la créature cracheuse de venin qui ressemblait à un globe oculaire.
— Avec un camouflage ooglith, il pourrait aisément passer pour un humain, murmura-t-elle à Vergere.
— C’est un être ambitieux, maîtresse, murmura Vergere. Soyez prudente.
Nom Anor s’inclina devant Harrar – moins bas qu’il l’aurait dû.
— Avant l’invasion, j’ai ensemencé plusieurs planètes avec différentes spores porteuses de maladies de ma fabrication. Une variété de coomb a entraîné la mort d’une centaine d’individus. Une seule personne a survécu : une Jedi humaine. La maladie n’est pas contagieuse.
« D’après les rapports, l’humaine reste gravement malade. Mais elle survit en puisant dans la Force. Sa résistance est un mal pour un bien. Elle nous permettra d’approcher les Jedi.
— Pour infiltrer leurs rangs ? demanda Elan.
— Afin d’en assassiner le plus possible, confirma Harrar.
Nom Anor hocha la tête.
— Voilà qui démoraliserait des populations entières. Si les Jedi sont vaincus, quel espoir restera-t-il aux autres ? Leur foi en la Force en sera ébranlée à jamais. Des planètes se rendront sans combattre. Le seigneur suprême Shimrra sera informé du succès anticipé de notre mission.
Elan regarda Nom Anor, puis Harrar.
— Quel sera mon rôle dans ce plan ?
Le prêtre avança, flottant au-dessus de sa tête.
— Un rôle qui conviendra parfaitement à une prêtresse de la secte de la tromperie !